Signé Moulaye Fanny

Il y a quelques jours, alors que le Palais de l’Elysée s’apprêtait à recevoir la diaspora africaine en présence des Chefs d’Etats du Ghana et de France, Moulaye Fanny, le pâtissier en herbe a été contacté par le Conseil Afrique, pour livrer des produits pâtissiers. Le jeune Moulaye tout étonné mais ravi, me dit, peu avant notre entretien : ‘‘ (…) ce qui est marrant, c’est que tout à l’heure en fin d’après-midi, l’un des chefs du bureau m’a envoyé un Mail. En objet, il avait mis: Disparition. Et quand j’ai vu ce mot, j’ai eu un peu peur. Je me suis dis ou la la mais qu’est ce qui se passe ? Et dans le corps du Mail, il disait avec cette belle formule, que les pâtisseries avaient disparues quelques minutes à peine après qu’ils les aient réceptionnées. Il me remerciait  pour ce qu’elles étaient délicieuses. C’est touchant et c’est encourageant pour la suite (…) ’’

Ingénieur dans le ferroviaire en France, il n’est arrivé dans ce pays qu’en classe de Terminale S et c’était en cours d’année. Il revenait de Lomé au Togo où il avait passé ses années lycées suite aux conflits et à la guerre en Côte d’Ivoire. Prit par le feu, son lycée avait brulé et le jeune écolier avait, avec sa famille, été obligé d’y aller continuer son cursus scolaire. Il y a passé, avec sa sœur et son frère, quatre ans au bout desquels ils sont allés à Paris. Juste après la terminale, il intègre une classe préparatoire Maths au Lycée Jacques Decour dans le 9ième

Ensuite, il ira à l’école d’Ingénieur ESIEE Paris à Noisy-le-Grand où il intègre l’ingénierie en systèmes embarqués. Il s’y agit d’informatique et de matériel couplé avec des notions de temps réel, de calculs et de gros équipements. Diplômé, il travaille d’abord chez Hutchinson à Montargis. Ensuite, il gagne Airbus à Toulouse où il travaille sur les commandes de vol électrique du modèle A380. Il reviendra à Paris, chez Hitachi Rail STS en 2014. C’est là que l’ingénieur fait du test logiciel, où toutes les composantes  qui vont commander le TGV d’un point A à un point B vont être testées. Fonctionnalité et sécurité sont les maitres mots de l’ingénierie ferroviaire.  

Chaque année, Moulaye retourne en Côte d’Ivoire. Il va à la rencontre des petits artisans, de petits producteurs, pour voir ce qu’ils font.  Il ramène plusieurs des produits avec lesquels il a grandi et qu’il affectionne. Cela va de différents types de farines, de la pistache cultivée dans la ville de Bonguanou, au miel de forêt ou du cacao de Yamoussoukro. De rencontres, il y a aussi celles qui le font rencontrer plusieurs de ses idoles dont Pierre Hermé avec lequel il passe un week end entier en Corse sans même avoir un CAP de pâtissier.

Avec Philippe Conticini qu’il adule, il passe plus d’une demi heure à boire ses paroles et ne revient toujours pas de l’avoir eu pour lui quelques instants. Pendant que Moulaye et moi discutons, cuit lentement et sûrement un praliné-pistache dans sa cuisine. Ganaches, pralinés, mousses ne sont pas des logiciels mais des gourmandises concoctées par l’ingénieur qui se transforme en pâtissier, une fois à la maison. Attention aux éclats de rire de ce grand joyeux, ils sont contagieux !

Impakt Info : Au premier abord, comme je l’écris quelques lignes avant celle-ci, pour le journaliste que je suis, le but pour lequel je vous contacte, c’est de parler de votre travail. Mais votre accueil si souriant, presqu’enfantin influence ma première question en la détournant quelque peu de son objectif premier : êtes-vous toujours aussi souriant, avenant, d’une humanité ‘‘vieux jeu’’, presque d’un autre temps ?

Moulaye Fanny : Hahahaha…, oui effectivement vous avez relevé ce trait de caractère. C’est vraiment un état d’esprit qui me définit. C’est cette chaleur, ce sourire que j’ai tous les jours quoiqu’il arrive. Cela vient de l’éducation que j’ai eue et celle-ci a façonné ma vison même de la vie, mon attitude au quotidien. Je sais que les situations changent et sont difficiles pour la plupart d’entre nous, nous ne sommes pas maitres de ce qui arrive mais il y a toujours une raison de sourire. Voilà. Rien que d’avoir une attitude souriante, cela met déjà les personnes qu’on rencontre dans un état d’esprit plus favorable à interagir. Je me rappelle que quand j’étais en école d’ingé, et en stage de deuxième année à Montargis en stage et les employés de la société m’avaient surnommé le smiley

Impakt Info : Peut-être qu’en comprenant votre philosophie de vie, on comprendrait mieux comment un ingénieur dans le ferroviaire se retrouve en cuisine à faire des gâteaux, à rejoindre peu à peu la cour des grands en la matière en proposant des concepts originaux et à fédérer autour de lui,…

Moulaye Fanny : Effectivement, on peut penser que l’univers de l’ingénierie et ferroviaire qui est mon activité principale et la pâtisserie sont des milieux très différents. Ce sont des métiers qui ont en commun pas mal de points : rigueur, précision, détail. Ce sont des métiers qui exigent de la minutie. Les grammages sont très précis, les températures sont exactes, les épaisseurs sont contrôlées. C’est pareil en ingénierie ferroviaire où pour déplacer les gens d’un point A à un point B, à des centaines de kilomètres/ heure, nos calculs se font à la virgule près, au dixième de centième de millimètre près sur les freinages. Cette contrainte est permanente dans les deux métiers et c’est grâce à cette exigence que je peux jouer sur ces deux tableaux. 

Leur distinction cette fois, se joue sur le fait que dans l’ingénierie, il y a peu ou pas de place pour l’improvisation. On doit rester dans un cadre très normé, alors que la pâtisserie offre un terrain d’exploration qui est quasiment infini. Toute cette créativité que je ne peux pas exprimer dans mon métier principal, je l’exprime en pâtisserie. En gardant cette base très technique qui finalement me convient parce-que depuis tout petit je suis passionné de technologies. Mais pas que. J’ai toujours été passionné de cuisine. J’avais toujours espéré avoir un restaurant, un jour. Petit, je passais beaucoup de temps en cuisine avec ma mère à la regarder cuisiner, ma grand-mère, ma nounou, Véronique et peu à peu, je me suis essayé à de petits plats de la maison familiale, à Abidjan, en Cote d’Ivoire. Des plats typiques : Aloko, poisson grillé, viandes, sauce, … Mon père aussi cuisinait, c’est un féru de gastronomie, de gratin dauphinois, de haricots verts, de rôti, c’était très bon. J’ai baigné dans cet environnement là. J’ai commencé à m’intéresser à la pâtisserie et avec l’explosion des émissions télé et des blogs sur le sujet, je me suis intéressé alors qu’au départ, je n’étais pas fan du tout parce-que c’était un mode de préparation très long. Il fallait plusieurs heures pour atteindre son résultat. Un jour, je me suis essayé sur un gâteau au chocolat tout simple que nous avions mes frères et sœurs, l’habitude de manger chez notre oncle maternel, les mercredis après midi. Son cuisiner, Moussa, le faisait avec un glaçage au chocolat et beurre salé et nous on adorait. C’est avec lui que je me suis essayé la première fois à ce gâteau. 

Impakt Info : Un préadolescent que son père-tous deux africains- initie à l’art culinaire, c’est assez rare, n’est-ce pas ? A quoi attribuez-vous cette complicité qui conduit un papa ‘‘ de chez nous’’ à cuisiner avec son fils, plutôt que d’aller vers des initiations plus ‘‘viriles’’ ? 

Moulaye Fanny : C’est vrai que c’est rare de voir un homme cuisiner dans une famille typique et traditionnelle africaine. Mon père fait partie de l’exception parce qu’il était passionné, comme je vous l’ai dit. Lui-même a commencé alors qu’il était très jeune aux études en France et à son retour, il a continué. Et, comme il a toujours été généreux et dans le partage, il m’a initié. Il ne mangeait pas que pour se nourrir. C’était aussi, pour le plaisir.  Et l’essence même de la cuisine pour moi, c’est le partage. Sans partage, il n’y a pour moi, pas de cuisine. Voyant que son fils était intéressé, plutôt que d’aller jouer au foot ou à la console, il m’a initié et c’était pour nous de superbes moments partagés tous les deux. 

Impakt Info : Jessy Rhinn-Auvray, le plus jeune pâtissier à ce jour, primé au Guide Michelin n’a que dix-neuf ans. Saviez-vous que lui par contre, son père n’était pas favorable à ce qu’il en fasse son métier ? 

Moulaye Fanny : Ah non. Je ne le savais pas du tout et je pense que si moi aussi, à l’âge de dix-huit ans, j’avais dis à mon père que je voulais être cuisinier ou pâtissier, je pense que j’aurai eu du mal à le convaincre. Il ne faut pas oublier cette culture de chez nous qui considère que ‘‘les métiers de bouche’’ sont un peu des voies de garage. C’est dur à défendre. Et même aujourd’hui, à mon âge, quand j’ai dit à ma mère que je pouvais arrêter mon ingénierie pour me consacrer à la pâtisserie et donc repartir de zéro, sa réaction a été classique. Elle a été étonnée. Il m’a fallu une bonne année pour l’en persuader.

Impakt Info : Vous avez préparé quelques Abidjan-Paris (Paris-brest revisité par Moulaye Fanny, ndlr) pour l’Elysée il y a quelques jours, lors de la discussion des chefs d’Etats Emmanuel Macron et Nana Akufo-Addo avec la diaspora africaine. Comment votre création a-t-elle été reçue ? 

Moulaye Fanny : Là, c’était vraiment une surprise, un honneur de faire gouter mes pâtisseries à l’Elysée. Les Présidents n’y ont pas gouté. Vous vous doutez bien que le protocole et l’alimentation de nos Présidents sont très contrôlés, très normés, ce qui est tout à fait normal. J’aurai adoré qu’ils en prennent au moins une bouchée, pour me dire ce qu’ils en pensent. De toute façon, je suis toujours disposé à le refaire, donc, qu’ils n’hésitent pas. Je profite de cet entretien pour dire : Messieurs Emmanuel Macron et Nana Akufo-Addo, si jamais vous avez envie de découvrir mon univers, c’est avec grand plaisir que je réaliserai des pâtisseries pour vous et vous les livrerai moi-même, en personne. 

Impakt Info : Le besoin de marquer de votre africanité vos créations pâtissières vous est-il impérieux ?

Moulaye Fanny : Quand on cuisine, en fait, on y met du ‘‘soi-même’’. C’est ainsi qu’on arrive à toucher les gens, en créant et en partageant des émotions. Dans mes pâtisseries, il y a sans doute beaucoup de mes racines africaines, sans non plus tomber dans ce cliché qui voudrait que chaque jour en me réveillant, je me dise que je devrais coûte que coûte mette une touche une touche africaine à ce que je fais. Ça vient vraiment en fait en fonction des produits, des idées que j’ai. Quand un produit me parle, je lui apporte cette touche pour faire découvrir ou redécouvrir un produit. Souvent, les gens le connaissent. Soit mal, soit dans une utilité qui n’est pas pâtissière. Je fais par exemple des tartes au citron classiques. Je la préfère cette tarte au citron, de manière traditionnelle. 

Impakt Info : Le pâtissier 2.0 que vous êtes est très actif sur les réseaux sociaux et franchement suivi. Est-ce devenu incontournable de nos jours ? 

Moulaye Fanny : Absolument. Les réseaux sociaux sont un moyen de communication incontournable. Ils ont changé notre rapport avec l’univers de la communication. La presse écrite qui était reine, il y a encore quelques années a fini par être obligée de se transformer en se digitalisant pour pouvoir survivre. Le digital est à ce jour le moyen de communication le plus efficace. Dès qu’il y a une nouvelle information dans le domaine notamment de la restauration, il y a des ‘‘stories’’ sur Instagram, et une heure après, il y a des clients qui viennent manger, parce qu’ils ont vu cela sur internet. C’est une vitrine extraordinaire. C’est grâce aux réseaux sociaux que j’ai pu rencontrer et même faire goûter mes pâtisseries au meilleur pâtissier du monde, Cédric Grolet qui est le chef du Palace de Meurice. C’est grâce aux réseaux sociaux. 

Impakt Info : C’est par ce même moyen que vous avez fait goûter vos pâtisseries au plus grand pâtissier du monde, n’est-ce pas ? 

Moulaye Fanny : Il faut que je vous raconte cette rencontre. Moi, petit amateur, je poste mes publications sur mes comptes et un bon jour, le Chef du Palace Meurisse, Cédric Drolet tombe dessus par hasard. Il commente une de mes photos et moi, pour rigoler, je lui réponds merci beaucoup Chef, ça me touche énormément et j’ajoute : je vous apporte la tarte quand vous voulez. Et vous savez quoi ?  Il m’a répondu. Vous vous rendez compte ? C’est comme ça que nous avons pris rendez-vous pour que je pâtisse pour lui et que j’aille lui faire goûter, moi, jeune passionné amateur qui le fais chez lui à la maison sans formation et qui les apporte au meilleur pâtissier du monde. Mais, c’est extraordinaire ! 

Impakt Info : Vous entrez dans le monde de la pâtisserie au moment où la ‘‘chasse au sucre’’ est lancée de presque partout. Les consommateurs réduisent de plus en plus les apports en sucre et surtout le sucre raffiné. Les autres produits transformés suivent et quittent leur alimentation. Comment pâtisserie et santé cohabiteront-elles dans vos gourmandises ? 

 Moulaye Fanny : Sachez d’emblée que je n’utilise aucun produit transformé dans mes pâtisseries, que ce soit pour les glaçages, les crémeux, les mousses, et tout le reste. J’utilise exclusivement des produits bruts : sucres, œufs, farines, chocolat de couverture, fruits frais, farines. Jamais, jamais, jamais de produits transformés, parce-que c’est toujours bourré d’éléments chimiques et de beaucoup de sucres et autre exhausteurs de goût. Dans le jargon, ils appellent cela des Mix. Je ne comprends même pas comment on peut autoriser ce genre de produits, mais ça c’est une autre histoire. Quant au sucre, effectivement, c’est un élément sur lequel on s’est penché depuis quelques années. Ses effets néfastes sur la santé se sont avérés notamment parce-que la pâtisserie traditionnelle était jusqu’alors assez riche en sucres. Cela était plus le cas de certains industriels qui faisaient ‘‘main basse’’ sur la qualité du produit. Quand on utilise des produits de mauvaise qualité qui n’ont pas de goût ou très peu et qu’on veut le faire passer la pilule au consommateur, le sucre est un des seuls moyens à portée de mains. En ce qui me concerne, puisque je n’utilise que des éléments naturels qui ont déjà du goût, je ne fais plus usage de sucre que comme un produit d’assaisonnement. Il faut reconnaitre que le sucre blanc raffiné joue un rôle structurel dans certaines compositions. Dire qu’on va bannir tout le sucre blanc de la pâtisserie, je n’y crois pas. L’utiliser avec modération, ça, il le faut. 

Impakt Info : Et ce Teatime ? Tout un concept. 

Moulaye Fanny : Le concept ‘‘teatime à la Moulaye’’ donc le Moulteatime,  c’est une amie qui a trouvé ce surnom au Teatime que j’organisais. C’est un concept qui est né du fait de faire goûter mes réalisations pâtissières soit à mes frères et sœurs, soit à des collègues au travail et c’est d’ailleurs toujours le cas, et cela les ravit. Au fur et à mesure et en rencontrant des passionnés en ligne comme moi, je me suis dit pourquoi ne pas les inviter chez moi les week endpour des dégustations. Cela nous permettrait de sortir de ce cadre virtuel, de mieux nous connaitre et de partager de bons moments et d’avoir leurs avis sur mon travail. Ce sont des moments très conviviaux.

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3 Comments

  • Encore une découverte avec vraiment de l’impact. Certes, je ne suis ni trop fan ni connaisseur de la patisserie. Peut être ça viendra un jour hhh. Mais ce qui me touche vraiment beaucoup c’est la détermination qu’a eu ce grand Monsieur Moulaye pour faire ce qu’il aime. Sa passion pour la patisserie est tellement grande qu’il prime sur sa formation d’ingénieur. De la folie pour la plupart bien sur. Oh! La passion… quand elle est là on fait tout avec sourire. Et si nos études, nos formations… nous aiderions à suivre nos passions!… Merci Arnaud

  • ….. nous aidaient à suivre nos passions, je voulais dire hhh. C’est comme moi pour la musique malgré mon diplôme de droit hhhh. Merci de nous avoir fait découvrir Moulaye, un vrai passionné

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