Signé Marie-José Gibon

La série KASSAV’ 40 Ans, que nous avons initié il ya quinze jours, continue et vous présente cette étoile brillante mais pas filante. Elle, comme son groupe font dans la longévité. Comment ? Avec quelle formule ? Elle s’y étendra dans les lignes qui suivent. La plus jeune de l’équipe dans ses débuts a grandi et mûri en même temps que ce qui sera désormais sa seconde famille.

Marie-José que je rencontre la première fois dans les loges du groupe, peu avant un show offert à Paris en 2010, m’avait cueilli par son sourire et ses yeux rieurs qui font d’elle une éternelle enfant. Son abord si facile, sa capacité à entrer en contact avec qui veut bien m’étonnent encore à cette deuxième rencontre pour cet entretien réalisé pour les 40 bougies. 

Nous avons pris rendez-vous un soir, peu après 20 heures en ce mois de juillet. Ensemble nous voulions, pour vous, parler des coulisses, de la vie de Kassav’ en dehors de la scène pour mieux comprendre ce qui faisait cette longévité d’exception. Aborder des questions plus personnelles, comprendre la personnalité de chacun des membres de ce qui se vit aujourd’hui plus que jamais comme une véritable famille de cœur.

Un à un, elle les appelle par leurs prénoms et dit un mot sur chacun de ses frères et sœurs. Elle n’a pas oublié sa très proche Catherine Laupa qui, comme les regrettés Patrick St Eloi et César Durcin n’accompagnent plus  le groupe sur scène. Leur souvenir pourtant demeure grâce à la magie du son et de l’image. Marie-Jo lève le voile quelque peu sur sa vie privée et prend soin de refermer aussitôt la parenthèse. Foi, respect, passion, travail, Afrique, Antilles, Hexagone, musique, elle se confie longuement. Généreusement. 

Impakt Info : Saviez-vous que dans la mémoire collective, vous n’êtes jamais seule lorsque l’on vous regarde seule ? Il y a toujours votre binôme d’antan. L’exceptionnelle Catherine Laupa !

Marie- José Gibon : Catherine était vraiment mon binôme. Nous étions très complémentaires, on s’entendait bien, on était sur la même longueur d’ondes, on a eu beaucoup d’activités ensemble, même hors Kassav’, nous étions tout le temps ensemble, on échangeait énormément. 

Impakt Info : Le grand ‘‘oral 40 ’’ vient de passer. En grande pompe. Cela dure donc quarante ans et vous, Marie Jo, vous y avez passé trente sept. À vos débuts, vous veniez d’avoir dix sept ans…

Marie- José Gibon : Je sais que ça fait un bon bout de temps que je suis avec le groupe, mais en fait, on ne se rend pas compte qu’autant de temps soit passé. J’avais fais une petite ‘‘coupure’’ durant les trente sept ans, mais j’ai bien trente ans tout de même avec le groupe. C’est toujours un plaisir de continuer l’aventure avec Kassav’. Les amis sont devenus des intimes, on est quand même très proches. Certains sont encore plus proches que d’autres, mais on vit une fraternité, on se connait. Chacun a tout de même son intimité et il n’y a jamais eu de désordre, on se respecte et ça c’est vraiment une très belle chose. Nous avons été réunis pour réaliser ce groupe avec chacun sa place, chacun son rôle. Moi, j’ai d’abord eu le rôle de danseuse-chorégraphe avec Catherine Laupa et Moïse Ripon qui était un tout petit peu dans l’ombre parce-que c’était aussi notre Co-chorégraphe. C’était déjà une très belle aventure et aujourd’hui en tant que choriste et chanteuse, ça continue. Je suis un peu la petite sœur de tout le monde, parce-que j’étais la plus jeune en fait. Je ne le suis plus tout à fait parce qu’il y a des plus jeunes qui sont arrivés. Mais je reste la petite sœur que les autres veillent. La protégée. Avec le recul, je crois que nous avons faits ce que nous avions à faire sans nous poser de questions. Je n’ai pas hésité quant à dix-neuf – vingt ans, j’ai dû choisir ma carrière d’artiste. J’aimais et le groupe me rassurait pour cette aventure. 

Impakt Info : Racontez-nous KASSAV’, avec vos propres mots…

Marie- José Gibon : Kassav’ en premier lieu, c’est mon job. C’est mon activité professionnelle. A dix sept ans, je pensais que c’était mon job d’été et après la force des choses, je suis devenue mon propre chef avec Kassav’, jusqu’en 1996, ensuite je suis devenue employée du groupe et c’est aussi ma famille, ma seconde famille puisqu’on est lié par plus que de l’amitié avec les membres du groupe.

Impakt Info : Vous parlez de la famille Kassav’ et avec une telle longévité dans un succès qui ne s’est jamais démenti, vous comprenez la curiosité des fans d’hier et d’aujourd’hui qui se demandent ce qu’est la réelle personnalité de chacun(e) en dehors de l’exercice professionnel. Commençons par Jean Claude Naimro…

Marie- José Gibon : Vous savez, malgré nos différences de personnalités, de caractères, nous nous rejoignons tous sur le fait de faire ensemble notre musique et en général, je crois que nous sommes déjà des personnes très consciencieuses, respectueuses et donc respectables. Je crois que nous avons eu cette intelligence de fonctionner comme on l’a fait, c’est-à-dire de faire les choses avec sérieux tout en s’amusant. Jean Claude, c’est un bout-en-tain et comme c’est un grand migraineux, cela l’a conduit parfois à rester dans son coin et à ne plus parler et de plus en plus en vieillissant (elle rit)  mais c’est un grand bosseur. Il aime préparer minutieusement les grands concerts qu’on fait. Il est très consciencieux. Jean-Philippe est aussi un bout-en-tain. Il y a quand même pas mal de bout-en-tain mais ils savent aussi rester de temps en temps au calme. Jacob, ce que j’ai connu de lui, c’est vraiment le gars qui est derrière ses machines, très sérieux, sur qui on peut compter et le plus calme des garçons, notamment par rapport aux filles, avec sa copine. Les filles ce n’était pas ce qui lui plaisait le plus, mais après, il s’est rattrapé. C’était d’ailleurs le dernier parmi les garçons à avoir des enfants et quand il s’y est mis, il a commencé après des jumeaux (elle rit)  très comique ! Georges Décimus, c’est celui qui rallie tout le monde, qui met la bonne humeur dans le groupe, c’est lui qui fait des tas de propositions, c’est un très bon cuisinier et il prend grandement plaisir à en faire pour tout le monde. C’est également un  »faiseur de tubes », comme eux tous d’ailleurs, mais il a le petit truc en plus… Marie Cé, c’est une maman. Elle est toujours à rendre service et à prendre soin de tout le monde. Jocelyne est une protectrice, une maman. Kassav’, c’est sa seconde famille et c’est elle qui gère l’image du groupe avec notamment ses magnifiques photos. C’est la seule femme des cinq leaders. Elle porte vraiment le groupe et pas facile, comme elle le dit souvent. Elle se bat mais arrive tout de même à s’imposer.Pour moi, elle a été une grande sœur.

Patrick Sait Eloi était le plus discret mais le bon pote avec qui on pouvait discuter. Alors, Jean Jacques Seba, c’est le petit frère avec qui on rigole bien et qu’on a envie de protéger. Nous l’avons connu il y a dix ans. Il a fait les trente ans de Kassav’. Nous avons tous les deux une belle complicité. C’est le gars dynamique qui est venu booster tout le monde, notamment les plus âgés, les cuivres dont Freddy Hovsepian. Freddy, c’est le grand frère que j’ai connu dès le début avec Hamid Belhocine qui est un grand frère. Ce sont des gens qui ont accompagnés des artistes nationaux dont Johnny Hallyday, Enrico Macias. Ils ont mené une carrière en parallèle mais ils n’ont jamais lâché Kassav’. Thomas Bellon est un autre jeune frère qui est arrivé après tout le monde et qu’on voit grandir et s’affirmer. Philippe Joseph, c’est le professionnel qui est derrière les machines, qui fait les programmations. Nous l’appelons le professeur. On fait pas mal de jeux de société ensemble, on joue beaucoup à la belotte. C’est le gars qui n’aime pas perdre et quand on joue, je suis toujours contre lui et quand on va gagner, il s’énerve. On échange bien, on passe de bons moments. Douglas Mbida, c’était celui qui venait du continent africain, qui nous amenait un peu de sa culture camerounaise. Très calme, il aimait danser et des fois on faisait ensemble des chorégraphies avec Catherine et parfois avec César Durcin qui dansait du Gwo Ka, quand il ne jouait pas des percussions. César, c’était toujours beaucoup d’entrain et de bonne humeur. Je crois avoir fait le tour et je termine par le Fondateur du groupe, Pierre-Edouard Décimus. Le visionnaire qui a eu l’idée (avec d’autres) de créer ce groupe. C’est le papa. 

Impakt Info : Vous avez sillonné la planète et plusieurs fois en quatre décennies, quel est ce souvenir qui parmi tant d’autres, reste gravé plus que tout autre ?

Marie- José Gibon : C’est vrai que nous avons sillonné le monde et notre premier voyage en Afrique, c’était la grande révélation et en même temps, c’est comme si je connaissais déjà ce continent et qu’il fallait que j’y aille, que j’y sois. Ma mère me disait souvent qu’elle aurait aimé que mon père qui était militaire, demande sa mutation pour l’Afrique. Malheureusement, ils ont divorcé quand je n’avais que quatre ans, mais ma mère a toujours caressé ce rêve et c’est moi qui l’ai un tout petit peu réalisé pour elle. Voir un continent noir, avec des Etats noirs et gouvernés par des noirs avec des présidents noirs, les lusophones côtoyaient les anglophones, les francophones,  je n’en revenais pas vraiment tant j’avais la joie de découvrir cela. Il y a aussi l’Asie qui, petite, m’avait toujours fascinée. Nous avons été au Japon et pas encore la Corée ni la Chine mais j’espère qu’on aura l’occasion d’aller y jouer avant la fin de notre carrière.   

Impakt Info : Est-ce que vous avez une idée de ce qu’est l’attachement que Kassav’ a suscité dans les cœurs de tous ces publics multiples aux quatre coins de la planète qui vous aiment ?

Marie- José Gibon : Alors… Ce n’est pas pour rien qu’il y a eu cette chanson Zouk la sé sèl médikaman nou ni  (Le Zouk est le seul médicament dont nos avons besoin, ndlr). A la sortie des concerts, les gens nous disent qu’ils se sentent bien, qu’ils ont passé un bon moment avec nous, que c’est un regain de vitamines, voilà. Et d’ailleurs, quand nous sommes allés en Afrique, nous avons vu que les gens étaient extrêmement connectés à Kassav’. Ils connaissaient les noms des musiciens qui avaient joué sur les albums, les textes alors qu’ils ne parlaient pas un mot de créole. Les gens étaient très informés. En Angola, j’ai rencontré quelqu’un qui m’a dit Merci parce-que grâce à votre musique, j’ai appris à parler créole. Il y a des gens (éclats de rire)  qui ont faits des bébés sur Kassav’. Je m’en rends compte encore plus en cette fête des quarante ans de carrière pour nous, mais c’est aussi quarante ans de souvenirs pour beaucoup de gens soit par une chanson, un concert, un évènement.

Impakt Info : Les Antilles -d’où est issue la majorité des membres du groupe-, sont françaises, vous êtes tous (ou presque) de nationalité française, Kassav’ est le plus grand et le plus populaires des groupes français au monde, mais nous avons l’impression que les médias de l’Hexagone ‘’ne le savent pas’’…

Marie- José Gibon : C’est de la même façon qu’ils considèrent les Antilles dans leurs politiques. C’est-à-dire que quand on a besoin des Antilles pour les Elections, on va à la rencontre des gens, on les amadoue pour qu’ils soient actifs dans leur sens. Mais quand nous, on a besoin d’eux, on doit leur rappeler qu’on existe. Je me souviens qu’à un certain moment, on était le groupe numéro un devant le groupe Téléphone, on avait reçu une récompense en tant que premier groupe français, on était à Miami d’ailleurs et la remise s’est faite avec nous en duplex sur le service public. Nous avons existé à leurs yeux parce qu’on remplissait des Zénith, que c’était de plus en plus évident et qu’ils ne pouvaient plus ‘‘faire comme si ce groupe n’existait pas’’. Les maisons de disques sont venues par la suite, parce-que ça marchait alors qu’on s’y était mis tout seuls sans grand soutien derrière, si ce n’est celui de notre public. Nous, on a toujours dû faire dix fois plus que la moyenne pour être reconnus. La France a plusieurs communautés depuis bien longtemps, mais elle a encore du mal aujourd’hui à reconnaitre tous ses enfants. C’est quand ‘‘on réussit’’ qu’on est Français.  

Impakt Info : Tout ce tourbillon et le travail fait en amont laissent-ils un peu de place pour une vie de famille classique comme pour monsieur ou madame tout le monde?

Marie- José Gibon : Eh bien, ça c’est ma vie privée (rires). J’ai effectivement fais plus de place à ma vie professionnelle plutôt qu’à ma vie privée. Avoir des enfants, c’était pour moi, un petit peu compliqué. Au moment où j’en avais envie et où je pouvais le faire, je ne voyais pas comment concilier les deux. Je m’arrête là. J’ai une vie de femme complètement épanouie sans problème, j’ai mon compagnon. Si j’avais fais le choix d’être maman, je n’aurai pas eu cette carrière, je pense.

Impakt Info : Etre ‘‘Maman’’ ne vous manque pas ? 

Marie- José Gibon : Je le suis par procuration, puisque je suis marraine. Je ne ressens pas un manque par rapport au fait de n’avoir pas d’enfant biologique. Je peux me poser la question de savoir à quoi auraient ressemblé mes enfants, mais en même temps, je me pose tellement de questions sur ce qu’est l’avenir du monde et celui des enfants, que je finis par me dire Ok, je n’en ai pas mais tant mieux parce que je ne sais pas dans quel monde ils viendraient… Cela ne m’empêche pas d’être fusionnelle avec mes filleul(e)s. C’est mon pur bonheur.

Impakt Info : Etes-vous croyante ? Fidèle à un Etre Suprême ?

Marie- José Gibon : Certainement. Je ne crois pas au hasard. En ce qui concerne par exemple notre groupe et chacun de ses membres, je ne m’étais pas du tout rendu compte que nous avons été guidé. Individuellement et tous ensemble.  Les rencontres ne sont pas anodines et nous avons chacun sa partition à jouer pour transmettre ce que nous offrons. Au début de l’aventure, je ne parlais pas créole et c’est en apprenant que je me suis davantage intéressée à nos iles. Si nous apportons tant de joie aux gens, c’est notre mission sur terre et chacun en a une. Personne n’est là par hasard. Que Dieu nous prête vie longtemps et que l’amour imprègne tout être vivant.

Propos recueillis par Arnaud Nkusi


Crédits Photos: Martinique 1ère, France-Guyane, Marie-José Gibon

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6 Comments

  • Que de bons souvenirs en votre compagnie… Kassav !!!
    Vous nous avez transportés durant tte notre jeunesse, nous avons voyagés, dansés, fais la fête … Et surtout rêvés grâce à vous…. Longue vie à Kassav!!!

    • Bonjour Yolande,
      Merci d’être la première à réagir.
      Et oui! Que de bons souvenirs avec Kassav’! Et dire que le groupe au complet sillonne encore le monde!
      Il vient de quitter Wallis et Futuna, ils sont en route pour le Japon. La machine carbure à 100%, quarante ans
      plus tard!

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  • I grew up in the early 1990s listening to Kassav’. Because of Kassav’, zouk is eternally engraved in my mind. The unique voices of Jacob and Jocelyne are what come to my mind when I think about creative vocals. I understand that Jacob passed on, that is so sad and I don’t think Kassav’ will be the same again without him.

    • Greetings.
      Thank you Ineza for being here and for your testimony.
      Impakt Info welcomes you!
      Several questions arise since the death of Jacob Desvarieux.
      The main one remains the one you mention: Will the group survive him?
      Jean-Philippe Marthély also suffered a stroke in 2020 and he is in a long
      period of convalescence.
      Time will tell us.
      In the meantime, let’s listen to the almost inexhaustible repertoire of this myth: Kassav’.

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  • Quand je pense à Kassav’, je revois, dans mon enfance, les plus grands concerts de ma jeunesse dans le pays qui m’a vu naître, la République démocratique du Congo. Un groupe mythique qui aura marqué son époque et qui aura laissé une empreinte indélébile de la culture antillaise sur toute une génération. Ils nous ont tous fait rêver, Jacob, Jocelyne, Patrick, les autres et Philippe Marthely, mon préféré à cause de son chez d’oeuvre, Rété. De cette interview magnifique avec Marie-José Gibon , nous avons la confirmation de ce que j’ai toujours suspecté, une vraie ambiance familiale entre eux.

    Merci Arnaud.

    • Bonjour Coco Kamanzi,

      Merci pour votre assiduité à nous lire et merci pour votre amour de Kassav’.
      Merci donc pour Kassav’.
      Monsieur Jean-Philippe Marthély, vous lira sans doute.
      Madame Marie-Josée Gibon, vous lit ici.
      La Rédaction se charge de faire parvenir
      vos réactions aux concernés avec plaisir.

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