Rencontre avec Vincent Harisdo

Une danse spirituelle. Il ne saurait dissocier la pratique de son art d’une conception qui la transcende. Après trois décennies de pratique de la danse, il veut pour celles et ceux qui ne se sentent pas forcément habité de ce talent, les inviter à réfléchir ensemble, discuter, parler du Võdù autrement. C’est le titre même de son nouvel ouvrage. Professeur, chorégraphe et pédagogue, sa danse faite d’instinct est l’expression toujours renouvelée de ses racines animistes et de ses pulsions profondes. Son style est épuré et en parfait accord avec ses sentiments. Harisdo est initié dès son enfance à la danse, il poursuivra une formation pluridisciplinaire à l’Académie de danse de Paris.  C’est avec Alvin Mc Duffy qu’il va parfaire sa technique et sa conception de la danse. Il collabore depuis plusieurs années avec Koffi KôKô. Par un langage fort de simplicité et de conviction, Harisdo partage avec le plus grand nombre sa conception de la danse à travers ses stages. Rigueur, intensité, partage et émotion sont les maitres-mots de son travail.

A travers ses recherches, il a acquis la conviction que la danse africaine doit être enseignée comme une activité et une action de synthèse, qui fait appel à toutes les énergies et toutes les facultés de l’être. Et cela doit, d’après le professeur de danse, être enseigné selon une méthode qui allie discipline et liberté, qui exige à la fois de l’élève l’effort vers la maîtrise et le courage de s’exprimer.

IMPAKT INFO:  Dans Le Võdù autrement vous livrez votre perception et votre lecture du Võdù. Elle est avant tout, selon vous, une culture du lien social qui se tisse au fil des cérémonies et des rencontres. Par les temps qui courent hélàs, ni cérémonies, ni rencontres, Covid et protocole de protection obligent. On fait comment ?

Vincent Harisdo: La danse reprend à tout petits pas. Le monde est mis à l’arrêt par la pandémie de Covid-19, et de ce fait l’univers de la danse et donc le monde du vodu aussi peine à redémarrer. On essaie de reprendre les cérémonies, les rituels et donc la danse malgré les contraintes imposées par les protocoles sanitaires. Une gageure pour nous car, notre principe est basé sur le mouvement et le contact. Comment respecter la distanciation sociale et éviter tout contact dans une culture précisément basée sur le maillage énergétique du groupe ? ‘‘C’est  terrible’’. Les contraintes imposées par la pandémie ne sont pas applicables dans notre domaine. Il est quasiment impossible de danser avec un masque. Notre art est celui de la proximité et du mouvement, à l’opposé de la notion de distanciation sociale. Ma crainte est qu’un certain nombre de personnes inventent des principes très formalistes et artificiels, avec des personnes toutes à quatre mètres les unes des autres. La contrainte fait partie de la création mais à ce point, elle risque de dénaturer notre imaginaire.

IMPAKT INFO: Le monde de plus en plus virtuel et son corollaire de modes de communication ne va-t-il pas, édulcorant nos liens sociaux ancestraux faits de contacts, face à face, corps à corps? 

Vincent Harisdo : L’art de la danse Võdù est un langage, et ce langage s’appuie sur le concept de la « transformation et de la métamorphose », qui sont les clés de la compréhension des Võdùs. La danse Võdù peut traverser la barrière de la conscience pour nous permettre d’atteindre notre être pré cognitif, profondément enfoui en nous-même. Il envisage le corps comme un « vaisseau temporel » qui transporte l’âme de nos ancêtres du passé vers le futur, et il nous encourage à convier ceux-ci à participer à notre danse présente. La danse Võdù se caractérise par l’effacement du caractère, la différenciation entre le naturel et le neutre. Le passage par le neutre est à la base du processus de transformation de l’artiste, celle qui lui permettra ensuite de faire jaillir toutes sortes de créatures cachées en lui.

IMPAKT INFO: Vincent, que voulez-vous exprimer, lorsque vous dites : ‘‘Nous sommes entrés dans une nouvelle ère où les Arts Premiers entrent dans les plus grands musées et pourtant certains analystes continuent d’ergoter sur l’usage du mot « contemporain » ?

Vincent Harisdo : L’approche de la danse contemporaine africaine est du même ordre que le regard anthropométrique des premiers explorateurs du continent. Il s’agit encore d’établir une sorte de typologie des genres et des races. Des concours de festivals autour de la danse contemporaine africaine. Le but avoué de ces manifestations était de dresser un bilan prospectif de la création africaine d’aujourd’hui. Et si ces manifestations ont essayé de poser les nombreuses interrogations que l’on soulève dès qu’il est question de danse, il ressort de ces manifestations que la façon dont la danse africaine est abordée en Occident est entachée d’une méconnaissance qui frise parfois la malveillance. En effet, en Europe comme en Afrique, les personnes qui furent chargées de ces organisations répondaient toutes aux mêmes critères. Alors pour quelle raison ce regard spécifique ou plus exactement ce non-regard persiste-t-il encore aujourd’hui, alors que des artistes venus du Sud du Sahara ont fait la preuve que les seuls critères de jugement et d’appréciation de la danse contemporaine, fût-elle chinoise, japonaise, mexicaine ou ivoirienne sont des critères d’émotion, de sensibilité et de lecture ? Mais, un certain directeur de festival répondrait que l’Afrique ne dispose pas d’une histoire de l’art, d’une théorie de l’art suffisamment élaborées pour que l’on puisse s’appuyer dessus, et par ailleurs, le discours européen développé depuis la fin de la Renaissance est tellement lié à un contexte spécifique qu’il serait vain de tenter de les appliquer à l’Afrique. Alors quoi?Tout se ramènerait donc à une question de sémantique? Et le domaine de référence lié à l’Afrique se cantonnerait dans des termes comme post-colonial, artisanat, art urbain ou utilitaire? Je me refuse à y souscrire. Hélas, ces manifestations furent là pour montrer la fragilité de certaines évidences, dès lors qu’elles ne sont pas partagées. Avant que la danse, d’où qu’elle vienne, soit d’abord considérée pour ce qu’elle est, et non par rapport à des préjugés qui font que le marché et les scènes internationales, débordés déjà par l’incapacité chronique de mettre derrière des classifications qui font florès, de l’émotion et de la réelle liberté de choix, il faudra encore et encore affirmer la légitimité de notre position. Cette inanité des débats reflète en fait, à mon sens, les limites atteintes par les gens qui, jusqu’à aujourd’hui, se faisaient les grands représentants, spécialistes et promoteurs de cet art. Car, ils souffrent d’un problème d’objectivité. Ils sont incapables d’envisager la danse africaine hors les tics et les références auxquels leurs formations ou leur passé les a condamnés. Il serait vain d’attendre d’eux qu’ils insufflent quoi que ce soit de nouveau à ce débat qui commence à peine. L’ère qui s’ouvre, avec son cortège de complexités nouvelles n’a rien qui puisse les satisfaire, rien à quoi ils puissent s’accrocher. Le monde a bougé trop vite pour que des certitudes trop vieilles puissent encore servir de quelconque référence. On ne regarde plus un artiste, fut- il africain, en ne tenant compte que du seul critère de son village natal. Et pour le reste, qui ce village protégé des ravages du temps peut-il encore intéresser si ce n’est l’artiste lui-même, dans le processus très complexe et très secret de sa création ? Le problème majeur dans l’organisation de festivals ou de concours est que l’on ne vient pas pour y voir, mais pour délivrer une science autarcique, une prétendue vérité qui ne supporte pas la confrontation.

IMPAKT INFO: Je cherche aujourd’hui dans ma démarche artistique et pédagogique, à intégrer la danse africaine dans l’ensemble du champ chorégraphique et d’en faire autre chose qu’un simple divertissement folklorique, dites-vous. On sent une demarche militante certes, mais sur fond de révolte. Qu’est-ce qui vous exaspère?

Vincent Harisdo : Le monde de la danse africaine n’est pas épargné par des polémiques stériles, voire des affrontements larvés issus de rivalités entre différents pays, concepts, tendances. Dans ces hypothèses de pensée certains artistes ont l’intime conviction de s’adresser naturellement à une « élite » seule en mesure de les comprendre et de les apprécier. Il nous arrive ainsi d’assister parfois à une forme de « ghettoïsation » de la danse laissant le public souvent perplexe et désorienté. On peut s’interroger sur de tels comportements et en rechercher les raisons profondes : refus de la confrontation, narcissisme ou plus prosaïquement absence de véritables convictions sur le caractère universel de l’art. En fait, le seul élément déterminant à nos yeux, pour tous ceux et celles qui peignent, sculptent, créent, etc. « la sanction » du marché, c’est-à-dire des amateurs d’art, étrangers dans leur grande majorité à ce genre de controverses. L’expression artistique, loin d’être monolithique et figée est au contraire, riche et diversifiée dans ses différentes composantes et de nature ainsi à capter l’intérêt du plus large public. Roger Bissière n’a-t-il pas écrit que le fait de peindre « c’est peut-être simplement de se rapprocher des autres hommes. Ne plus être tout seul » ? Depuis le siècle dernier, l’art connaît une véritable explosion avec la multiplication des techniques, des matières et matériaux utilisés, sans pour autant que cette modernité qui l’accompagne ait supplanté des formes de créations plus classiques. Loin de nous l’idée absurde de présenter ici un quelconque hit-parade, ou de vouloir faire un inventaire exhaustif de toutes les formes de représentations artistiques, mais plutôt à travers ces quelques ateliers de créations, de susciter l’intérêt et l’admiration, mais aussi les critiques du lecteur en fonction de ses goûts et de sa sensibilité. Cet ouvrage se veut avant tout un lieu de rencontre, entre amateurs, collectionneurs et créateurs reconnus ou nouveaux talents à découvrir. Retenons pour conclure cette réflexion de Gombrich dans son Histoire de L’Art, édition 1998: « Il vaut mieux tout ignorer de l’art que de posséder cette sorte de demi-savoir qui fait le faux connaisseur et le snob ».

IMPAKT INFO : Le nombre d’amateurs fascinés par la danse africaine va crescendo dans les cours, les stages sans pour autant que ce ‘‘fourre-tout’’ dit ‘‘danse africaine’’ ne soit pris en compte plus sérieusement, à l’instar d’autres forme de danses dites ‘‘classiques’’. Comment interprétez-vous cette mise à l’écart des danses africaines ?

Vincent Harisdo: Le terme « danse africaine » est fréquemment utilisé pour désigner cours et stages, et identifier certaines chorégraphies. Il renvoie également à différentes caractéristiques. Regroupant les danses d’Afrique noire, la « danse africaine » comprendrait un cadre musical de djembés et de percussions, des mouvements du bassin, un travail du sternum développé, des relâchés de tête et jeux de jambes rapides… On parle aussi de « danses terriennes », avec une dimension symbolique affirmée et un caractère traditionnel incontestable. Mais à quoi correspond cette caractérisation ? Comment la catégorie de « danse africaine » s’est elle construite ? En quoi l’anthropologie a-t-elle pu avoir un rôle prépondérant dans cette construction ? Les danses d’Afrique ont été attribuées au domaine de l’anthropologie qui avait comme objet d’étude au 19e siècle, les sociétés que l’expansion européenne rencontrait sur son passage. Dès lors, l’anthropologie les a théorisées et en a déterminé les principales caractéristiques, estampillées du sceau de la science. Ces traits, repris et généralisés, ont participé à la construction de la « danse africaine » comme catégorie et à la mise en place des pratiques chorégraphiques qu’elle regroupe. Or, cette approche demande d’envisager également la part active des artistes qui sont de véritables protagonistes dans les processus engagés Les recherches en danse ont parfois mis à l’écart les questions politiques. Cette « amnésie des corps » trahirait non seulement la place marginale occupée par la danse dans le champ des réflexions en sciences humaines, mais également le statut mineur conféré aux arts chorégraphiques dans la civilisation occidentale. La danse n’échappe pourtant pas aux mécanismes de pouvoir et de contrôle qui régissent les corps, les gestes et les comportements. Elle peut même en être parfois le révélateur. C’est ce que je me propose de mettre en lumière dans cet article. Dans la majeure partie des travaux traitant de l’histoire de l’Afrique ou de l’histoire de la danse sur ce continent durant la période postcoloniale, il est rarement fait mention du Centre de formation de Maurice Béjart implanté à Dakar entre 1977 et 1982. Pourtant, à ce jour, nul autre projet concernant la danse en Afrique francophone n’a pu rivaliser avec l’expérience de Dakar. 

Propos recueillis par Arnaud Nkusi

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